dimanche 16 septembre 2012

Rendez-vous au 10 Avril

SEVERAC Benoît

 



Présentation de l'éditeur
"Je ne vois personne dans les bâtiments qui m'entourent, aucune lumière, aucun signe de vie. L'odeur, loin de s'estomper, devient plus prégnante. Je m'apprête à ressortir du jardin botanique, quand je découvre, flanquée à une sorte de pigeonnier surmonté d'une tourelle, une cheminée qui crache sa fumée, plus épaisse que la nuit. La lumière rouge d'un foyer danse par moments, à travers les impostes de l'immense porte. Une silhouette sort de la grande salle, traverse le jardin sans me remarquer, et disparait sous le porche. Je m'approche et pousse le battant laissé entrouvert. Au sol des cadavres d'animaux gisent morts"

La Grande Guerre est achevée depuis trois ans déjà, et chacun reprend sa place comme il peut dans une société qui s'étourdit pour oublier. Pourtant, les douleurs et les blessures rejaillissent de façon bien étrange parfois. Toulouse des années vingt abrite dans ses flancs une Grande École, qui connaît ses propres codes, ses propres règles, qu'une mort inopinée vient perturber. Seul un homme, brisé par un passé qui le hante, ose l'affronter. Parviendra t il à briser la chape du silence et à faire éclater la vérité ?
Prix Mémoire d'Oc, 2009
Sélection officielle Prix du Polar de Cognac, 2009
Programmation Marathon des Mots de Toulouse, 2010

Après son premier roman "Les chevelues", Benoit Severac a remporté en 2008 Les grands prix littéraires de Toulouse et de la ville de Saint Lys, et en 2009 le Prix du Polar Calibre 47.
Il confirme avec ce nouvel opus sa force d'écriture, empreinte d'humanité, qui trouve ici un élan remarquable.

Avis

Ce récit à la première personne est celle d'un inspecteur, rescapé de la Première guerre mondiale, qui se retrouve à la tête de 2 meurtres à Toulouse. Ces deux événements, à priori sans aucun rapports, auront tout de même comme point commun l'Ecole vetérinaire de Toulouse. L'inspecteur est un homme détruit, alcoolique et toxicomane, qui ne trouve la paix qu’auprès de Lulu, jeune prostituée compatissante. Les gens qui l'entourent oscillent entre la compassion pour le vétéran de guerre, le dégout de ce qu'il est devenu et au final l'exaspération devant son comportement autodestructeur. La premier meurtre, maquillé en suicide, est celui d'un professeur de l'école vétérinaire peu apprécié par ses collègues et ses élèves, à la vie extrêmement solitaire. Pour trouver le meurtrier, l'inspecteur devra se confronter à la haute société toulousaine, à ses luttes d'influence, à la chape de plomb qui couvre les intérêts individuels. Ce sera même au final sa perte, quand il s'obstinera à fracasser ces liens et le système. Le second meurtre correspond plus à un fait divers : un huissier respectable est décédé à la maison d'une crise cardiaque. L'inspecteur découvrira en fait qu'il a été poignardé par l'amant de la bonne, que l'huissier tentait d'abuser. Le jeune meurtrier est élève à l'école vetérinaire et n'est pas inquiété par la veuve et sa famille qui souhaitent plus que tout se protéger du déshonneur.

C'est un vrai coup de cœur que je présente.
C'est une véritable plongée dans l'enfer. C'est noir comme le narrateur, suicidaire, qui tente de noyer des souvenirs insupportables par toutes les drogues possibles, qui a perdu tout équilibre psychologique, et toutes ses illusions sur la nature humaine. Les retours sur les événements sont particulièrement saisissants dans leur horreurs et dans le ressenti des soldats piégés dans ces bourbiers. L'impact et la destruction psychologique sont présentés crûment dans toute sa violence et ses conséquences.
C'est extrêmement noir et violent par l’évocation des séquelles de la guerre dans toute la société française de l’après-guerre. Chez les survivants fracassés, chez les autres, qui font preuve d’autant plus de patriotisme agressif et primaire et qui ne peuvent se représenter ce qu’on vécu les poilus.
L'auteur décrit implacablement et sans complaisance l’hypocrisie et l’injustice de la bourgeoisie toulousaine, qui écrase les pauvres et protège, à tout prix ses secrets, même les plus inavouables. 
 
L'intrigue est subtile et on oscille avec efficacité entre ces 2 enquêtes au points communs de plus en plus nombreux. Elle ne fait aucune concession et va au bout de sa logique, sans pitié pour les personnages, ni pour le lecteur. c'est magnifiquement écrit. 
C'est un très bon roman, je recommande vraiment. 


Exceptionnellement,  je cite un extrait :
" Et moi? qu'est ce que je fais là, terré comme une créature des ténèbres, un rat, un vulgaire lombric ? j'ai des jambes et un fusil, je devrais être la bas, avec eux. J'ai fui. J'ai refuse de faire à ça. J'ai abandonné mes camarades, mes amis, mes frères d'armes.
Ils ont disparu et pas moi.
Un vulgaire lombric. Je me suis souillé. Je le sens, c'est tout froid. Mais je ne peux pas me lever. Je vais rester là et attendre, même si je sais que rien ne viendra.
Mon âme est morte. ça aussi je le sens, c'est tout froid dans ma tête.
Je vais demeuré ici, comme le papillon accroché à ce bout de barbelé. Je vais muer et mon âme rester ici. Elle se figera et finira par se dessécher.
C'est aujourd'hui que je suis mort."


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